NAFA Aziz, économiste chercheur au cread : Un entrepreneuriat de nécessité
interview accordée au jouranl El Watan du 18/02/2013
Rencontré en marge de la conférence virtuelle sur l’entreprenariat, Aziz Nafa, chercheur au Cread, décortique dans cet entretien les résultats de l’étude comparative sur les intentions entrepreneuriales des étudiants algériens, canadiens, français et belges. Il analyse également les facteurs expliquant la situation de l’entrepreneuriat chez les jeunes en Algérie.
– L’étude que vous avez présentée montre que les jeunes Algériens sont animés par l’esprit d’entreprendre. Ces résultats sont-ils à considérer dans l’absolu ?
L’étude consiste en un travail de recherche et de comparaison sur l’intention d’entreprendre entre les étudiants algériens, canadiens et européens (français et belges). L’objectif est de voir ce niveau d’intention et de définir les indicateurs qui expliqueraient les motivations et le comportement à l’entrepreneuriat des étudiants. Les résultats obtenus démontrent globalement que les étudiants algériens ont plus l’intention d’entreprendre que les Canadiens ou les Européens. Toutefois, il s’agit d’une analyse qui ne prend pas en compte les facteurs subjectifs, c’est-à-dire les éléments qui font partie de la personnalité de l’individu : c’est dire l’envie d’aller à la création, la culture d’entreprendre, etc.
En approfondissant l’analyse et en introduisant les indicateurs subjectifs, il ressort que les étudiants algériens ont tendance à aller vers l’entrepreneuriat non pas par envie ou culture d’entreprendre, mais parce qu’il y a un contexte socio-économique favorable. On entend par là, l’objectif fixé par les pouvoirs publics de créer un millier d’entreprises, les dispositifs d’aide à la création d’entreprise. On peut ajouter que le taux de chômage en Algérie étant le plus élevé parmi la catégorie des jeunes diplômés (21,4% en 2010). Entreprendre serait donc un moyen de trouver une place dans la société. En d’autres termes, c’est un entrepreneuriat de nécessité.
– Pourtant, on entend souvent dire que les Algériens n’ont pas la culture d’entreprendre en raison notamment d’un système d’assistanat entretenu par la rente pétrolière. Doit-on relativiser cette analyse ?
La culture d’entreprendre, soit on l’a, soit on ne l’a pas. Les enfants issus de familles de chefs d’entreprise ont par exemple cette motivation d’aller vers la création d’entreprise. Il y a une part de vrai dans ce que vous dites dans le sens où la société algérienne est «une société qui attend beaucoup de l’Etat» et surtout ces dernières 20 années, plus précisément avec les premiers plans d’accompagnement des jeunes, et après 1994 et le plan d’ajustement structurel, l’Etat a mis beaucoup de moyens pour absorber le chômage et pour accompagner les chômeurs issus de la fermeture d’usines, des privatisations.
Ces différents dispositifs ont été accompagnés par d’autres dispositifs comme l’Ansej, la CNAC au début des années 2000 pour aider les jeunes qui arrivent sur le marché du travail et qui n’ont pas forcément des débouchées. Depuis 20 ans donc, l’Etat est présent pour assister les jeunes dans la création de leurs entreprises et quelque part, ces différents dispositifs deviennent une arme à double tranchant. A la fois, on a envie d’absorber le taux de chômage et à la fois, on crée des assistés.
– La mise à niveau des salaires dans la Fonction publique et les avantages offerts par les multinationales ne favorisent-il pas, selon vous, une orientation des jeunes vers le salariat plus que vers l’entrepreneuriat ?
Cela nous renvoie à la première question qui a trait aux débouchées qu’ont les nouveaux diplômés. En premier lieu, on cherche du travail, mais les débouchées ne sont pas offertes à tout le monde, ce n’est donc pas tout le monde qui trouve du travail. Ceci amène certains de ces chômeurs à s’orienter vers des dispositifs tels que l’Ansej. Evidemment que beaucoup cherchent une place en tant que fonctionnaires avec un travail pas trop fatiguant et un salaire adéquat, mais ce n’est pas ouvert à tout le monde, là non plus.
– Aujourd’hui, on dit qu’il y a une inadéquation entre la demande du marché du travail et le type des formations qui sont dispensées à l’université. Comment expliquer cela ?
Effectivement, le monde économique absorbe parmi les diplômés et la formation universitaire et professionnelle n’est pas forcément en synergie avec ce monde économique. C’est pour cela que durant ces dernières années, notamment avec le système LMD, on a fixé l’objectif de rapprocher les deux mondes par des stages et par des formations au niveau des entreprises, de faciliter cette relation et cette synergie. C’est un moyen de créer un pôle pour permettre aux entreprises de puiser de la compétence dans les universités et aux centres de recherche de former et d’accompagner les universités et les entreprises dans leur process et leur innovation. Evidemment, le système va permettre de rapprocher le monde de l’université avec le monde économique et c’est là qu’on pourra créer des synergies productives.
Safia Berkouk