L’Etat ne devrait pas se substituer aux secteurs économiques

Aziz NAFA, Économiste chercheur au Cread : L’État ne devrait pas se substituer aux secteurs économiques

interview accordée au jouranl El Watan du 19/01/2015.
– La nature des investissements consentis depuis des années, massivement, dans les infrastructures et peu dans l’économie productive, explique-t-il la montée du chômage ?
Si nous nous référons à la théorie de la croissance endogène, l’action publique peut augmenter la productivité de l’économie, en augmentant par exemple le stock de connaissances ou les infrastructures publiques. L’idée du rôle moteur des infrastructures ne date pas d’aujourd’hui, elle a fait l’objet de plusieurs études et il est courant d’observer une corrélation positive et significative entre la croissance économique et le niveau des infrastructures.
Cela dit, le développement des infrastructures, par exemple, l’autoroute Est-Ouest, devrait engendrer des externalités positives au niveau des différentes régions traversées par cette dernière, en leur permettant de bénéficier des avantages d’accessibilité, de proximité des marchés, de transport, de désenclavement, etc. Ceci permettra de redynamiser les économies locales et donc la création de nouveaux emplois. Toutefois, ces effets seront perceptibles à long terme. Les emplois créés dans le cadre des investissements d’infrastructures sont conjoncturels et liés aux délais de réalisation et à l’achèvement des projets.
Certains pourraient être maintenus, à l’exemple de l’autoroute Est-Ouest, des milliers d’emplois devraient être créés pour assurer, à l’avenir, la gestion de cette infrastructure. En résumé, l’investissement public dans l’infrastructure aura un effet positif sur l’emploi à long terme. Pour ce qui est de l’économie productive, il est vrai qu’on est très loin de l’époque de l’industrialisation. Rares sont les nouvelles créations d’entreprises industrielles, mis à part l’usine de montage d’automobiles Renault à Oran et quelques partenariats stratégiques.
Si nous faisons une lecture rétrospective sur le taux de croissance des PME et celui de l’emploi de 2002 à 2011, nous observons une augmentation constante de 10% des PME essentiellement dans le privé et une baisse considérable du taux de croissance de l’emploi passant de 25%, en 2003 à 1% en 2010 et 3% pour 2011, selon les données statistiques du ministère de l’Industrie et de la PME. Ceux-ci confortent bien ce que je disais précédemment.
– Parmi les éléments révélés par l’ONS, un recul des employeurs et indépendants. Cela peut-il nous renseigner sur les limites des politiques tendant à encourager l’entrepreneuriat ?
Effectivement, on observe un recul et une régression en volume de l’auto-emploi avec un solde négatif (une baisse de 306 000 par rapport à avril 2014, selon l’ONS). Cette baisse a commencé en réalité depuis l’année dernière par rapport à septembre de 2013, elle est toutefois très faible avec une baisse d’environ 1000 unités. Selon les données du ministère de l’Industrie, nous observons une baisse du taux de croissance des PME à partir de 2009, passant de 26% en 2008 à 10% en 2009 et 6% en 2011. Nous relevons effectivement une baisse tendancielle du taux ces dernières années, mais la croissance reste néanmoins positive.
Au sujet des politiques de soutien à l’entrepreneuriat, l’Etat a créé des dispositifs qui, à la base, avaient pour missions l’insertion, la réinsertion et le soutien à l’emploi. Nous avons connu une époque de crise et de restructuration de l’économie nationale au début des années 1990, qui avait engendré des licenciements en masse et un taux de chômage qui avait atteint presque 30%, selon les statistiques officielles. Cette politique avait uniquement pour but la gestion de la crise.
Elle est bien pensée pour l’époque, mais ces dispositifs connaissent des limites aujourd’hui pour deux raisons : Les Algériens ne sont pas attirés par la création d’entreprises, mais plutôt par le salariat, selon l’ONS. Nous sommes en présence d’une population pour qui l’entrepreneuriat serait une alternative de secours à défaut du salariat, nous sommes face à un entrepreneuriat de nécessité.
Il faudrait peut-être adapter les dispositifs d’aide à la création d’entreprises à la réalité actuelle. Ces jeunes demandeurs n’ont pas toujours une expérience du monde économique. Il serait utile de les accompagner par des formations, de les coacher jusqu’à maturation de leurs activités pour les seconder dans leurs premiers pas en tant que chefs d’entreprises. Il serait aussi important d’aller plus vers un entrepreneuriat productif et innovant, par exemple dans le secteur des technologies de l’information et de la communication, où beaucoup de choses restent à faire.
L’Etat pourrait donner plus de considération aux PME existantes, elles sont plus à même de se développer et de créer de l’emploi, si les conditions leur sont favorables. L’importation «sauvage» impacte considérablement la production nationale. Les économistes, les chefs d’entreprise, la presse ne cessent de le crier haut et fort. L’entreprise a besoin d’un environnement serein, où la compétition serait juste et loyale.
Le développement de l’investissement et de l’entrepreneuriat aura plus de chances de se concrétiser par le soutien et l’accompagnement des PME dans leur dynamique de développement, en leur facilitant l’accès aux crédits d’investissement et d’exploitation, l’accès au foncier et en mettant des barrières à l’entrée pour les produits importés. Il est temps de créer des synergies productives entre le monde de la recherche et celui de l’économique. Enfin, la diaspora pourrait jouer un rôle dans le développement de l’entrepreneuriat. Créer des dispositions adéquates, permettrait d’attirer notre communauté d’affaires à l’étranger, à venir investir en Algérie.
Nous avons quelques exemples de sa mobilisation en Algérie, on peut citer par exemple Casbah Business Angels, qui accompagne les porteurs de projets à fort potentiel économique dans leur processus de création et de financement de leurs projets et aussi Algerien Startup Initiative (ASI), qui fait dans la promotion de l’entrepreneuriat, avec notamment le projet Tstart (compétition nationale de business plans pour la création de Start ups dans les domaines des NTIC, la sécurité informatique ou encore les technologies vertes).
– Progression des emplois non permanents, baisse du salariat indépendant. La fonction publique ne serait-elle pas la seule alternative d’emplois stables et durables aujourd’hui ?
L’Etat est pourvoyeur d’emplois pour ses fonctions régaliennes et ne devrait pas se substituer aux secteurs économiques qui restent la meilleure alternative pour absorber le chômage d’aujourd’hui et créer les emplois de demain. Les politiques d’investissement et le développement de l’entrepreneuriat se façonnent et se projettent sur la base des atouts dont nous disposons aujourd’hui pour en faire notre force de demain. L’Etat doit accentuer son rôle de régulateur et de facilitateur et non pas de principal pourvoyeur d’emplois. «L’après-pétrole est imminent : il est urgent de le penser et de le construire», entend-on souvent dire.
Est-ce que l’Etat-providence aura toujours les moyens de sa politique ? C’est un défi ! Pour exemple, ces dernières baisses du prix du pétrole ont amené l’Etat à geler tous les recrutements, mis à part les secteurs stratégiques (santé, éducation et sécurité). Une priorité de la politique économique algérienne consiste, en effet, tout spécialement à modifier le profil productif du pays à préparer son organisation et à compter sur d’autres apports que celui des hydrocarbures.
L’agriculture, l’élevage, le tourisme et toutes les compétences locales constituent une richesse pour l’économie et le développement des emplois stables et durables. Parallèlement, la nouvelle économie mondialisée se base de façon croissante sur «les savoirs» pour ses multiples développements. N’est-ce pas là, au croisement d’une économie de la connaissance et dans ses territoires extérieurs aux frontières nationales, que l’Algérie pourrait développer des champs alternatifs ? Plusieurs facteurs incitent à penser que cette option mérite d’être explorée.
La diaspora apparaît d’une façon générale comme une ressource mobilisable efficace pour l’innovation et le développement, comme le démontrent de nombreuses expériences de pays, comme l’Inde, la Chine, etc.). L’Algérie dispose d’un vivier important et diversifié de compétences et de savoir-faire. Il ne reste qu’à le mobiliser pour le bien de notre économie.